Par Véronique Châtel
paru en décembre 2017
Aider N° 3
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    Anne-Sophie Pelletier : Une grève de 107 jours contre la maltraitance

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    « Ce qui a été le déclencheur de nos 107 jours de grève – ( la plus longue qui ait jamais eu lieu dans un établissement pour personnes âgées ) - ? Le manque de personnel, qui perdurait depuis des mois, nous obligeant à mal faire notre travail. Quand vous avez seize toilettes de personnes âgées à accomplir le matin, il faut aller au plus vite. Alors on hiérarchise : lavage de cheveux ? Pas possible ; la douche ? Une fois par semaine seulement. Et encore pas pour tous. Priorité est donnée aux résidents dont la famille est susceptible de venir rouspéter si leur proche ne sent pas bon. Au quotidien, on se contente de laver le visage, les mains, les fesses. Cela devient de l’usinage. Mais à l’usine c’est plus facile. Les ouvriers ont des machines face à eux. Nous, on a des gens.


    Résultat, le personnel craque. Il se met en arrêt maladie. Ce qui génère encore plus de travail pour les autres. Et encore moins de temps à consacrer aux résidents. Car le personnel manquant n’est pas remplacé. Les aides médico-psychologiques ( AMP ) sont censées mettre en place des projets de vie individualisés pour les résidents, et donc connaître leur parcours de vie, mais on n’en sait rien ; on n’a jamais le temps de discuter. Pourtant discuter fait du bien. Ça calme les angoisses qui se réveillent quand le jour décline. Je pense à une résidente qui stresse sitôt que le soir tombe et déclenche des crises d’asthme. On lui donne des médicaments pour la tranquilliser alors qu’en passant un peu de temps avec elle, elle réussirait à se détendre. Parfois, il suffit de pas grand-chose pour apaiser les gens. Les prendre dans les bras un instant, histoire de leur permettre de sentir qu’ils ne sont pas tout seuls. Mais on n’a pas le droit de le faire, car on nous apprend à prendre du recul, à ne pas nous attacher.




    "Les ouvriers ont des machines face à eux. Nous, on a des gens."



    J’ai honte de moi quand les personnes angoissées à qui j’ai promis que je repasserai plus tard pour parler avec eux, me disent « Vous êtes gentille ! » Non je ne suis pas gentille, car je ne tiendrai pas ma promesse parce qu’il y a encore dix personnes qui m’attendent et que mon temps de travail n’est pas illimité. C’est très dur de se sentir poussée dans une forme de maltraitance, dans la déshumanisation quoi, alors que j’ai précisément choisi ce métier pour son côté humain.


    Ce sont mes valeurs éducatives qui m’ont amenée dans la gérontologie et mon besoin de me sentir utile. Avant de me former à l’aide médico-psychologique, j’avais travaillé dans l’hôtellerie après être passée par une école d’arts décoratifs. Pourquoi j’ai accepté de passer d’une bonne paie à un Smic ? Parce que j’ai eu des grands-parents exceptionnels que j’aurais détesté voir mal pris en charge. Il faut arrêter de se cacher les yeux : on est tous amenés à vieillir. Donnons-nous les moyens de bien accompagner le grand âge. Mais quand vous avez un employeur qui ne raisonne qu’en termes de profits et qui vous oblige, pour gagner plus, à piétiner vos valeurs, cela abîme. Comment peut-on vouloir faire du chiffre avec de l’humain ? Voilà pourquoi on a décidé de faire la grève.


    Au départ, on était 5, puis 13, puis 10, puis 7 au bout de 107 jours. Notre revendication ? Plus de personnel, des jours de formation considérés comme des jours travaillés, un degré de dépendance des résidents évalué avec les soignants, une augmentation salariale de 100 net par mois et une prime de 27,95 par dimanche. On a obtenu gain de cause pour les formations, 2 soignants ont été recrutés, mais il en manque toujours 4 ; le reste a été refusé. Rien ne va changer pour les résidents. Ni pour notre métier. »


     

    Anne-Sophie Pelletier, aide médico-psychologique, a été, entre avril et juillet 2017, la porte-parole des 14 aides-soignantes et AMP grévistes d’un Ehpad dans le Jura.


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