Par Véronique Châtel et Francine Bajande
paru en décembre 2017
Aider N° 3
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    Grand entretien avec Marcel Rufo : “On a tous besoin de liens !”

    La souffrance des enfants et adolescents qu’il prend en charge depuis une quarantaine d’années lui a permis de se convaincre de l’essentialité des liens familiaux. Et de livre en livre, Marcel Rufo nous en convainc aussi. Rencontre à Marseille.
    Il a failli s’arrêter. Après quelque 40 000 consultations d’enfants, d’adolescents, de parents et même de grands-parents en sou rance, Marcel Rufo a éprouvé le besoin de réaliser son rêve... d’enfant. Prendre le large et voguer sur la Méditerranée. Il a donc démissionné de ses fonctions hospitalières à Marseille (directeur de l’Espace méditerranéen de l’adolescence à l’hôpital Salvator). Mais à peine était-il arrivé en Grèce, qu’il a été gagné par l’ennui. Trois mois après avoir levé l’ancre, son voilier le ramenait à Marseille où il a repris une activité de pédopsychiatre, cette fois dans un cabinet médical partagé avec d’anciens élèves.

    Sur les murs de son bureau qui sent encore le parquet neuf, deux dessins encadrés, l’un de Cabu et l’autre de Wolinski, qui représente le grand Rufo maugréant : « Plus je vieillis, moins j’aime les jeunes. » Une vanne évidemment. Il suffit de l’écouter pour constater que ses patients sont à la fois une éternelle source d’inspiration et un prétexte perpétuel pour se connecter avec sa propre enfance. C’est en évoquant l’un de ses patients, avec lequel il joue à fabriquer des avions en papier qu’ils lancent par la fenêtre, qu’il fait soudain ce lien : son cabinet se situe au troisième étage comme sa chambre d’enfant dans l’appartement paternel, d’où il lançait déjà des avions en papier... La coïncidence n’a rien d’étonnant. Surtout après avoir lu le Dictionnaire amoureux de l’enfance et de l’adolescence qu’il vient de publier : « L’enfance est la matière même dont sont tissés les adultes, en qui elle parle encore au présent quand ils croient l’avoir laissée au passé. »



    Que faudrait-il garder de son enfance ?

    L’enfance est le médicament générique de l’espérance ! Je crois qu’il y a deux sortes d’êtres, ceux qui se souviennent d’avoir été des enfants et des adolescents et les autres, ceux qui croient avoir toujours été adultes. Le souvenir d’avoir été un enfant permet de maintenir un bon psychisme. Et de devenir un adulte cohérent. Je n’ai pas oublié les heures passées à tenter de battre mes records du lancer de balle de tennis contre un mur, par exemple. Entre un an et demi et douze ans, j’ai vécu chez une cousine en Italie. Quelque part, j’ai été abandonné. Et je me suis senti abandonné, même si je considère cette cousine comme ma mère. Je m’installais sur le lit de mes cousins, à l’envers, et je lançais la balle contre le mur de la main droite pour la rattraper de la main gauche. Le sou- venir de ce rituel, symptôme d’une névrose infantile, donne du sens au chemin parcouru depuis.

    Il faut rester connecté à son enfance et pourtant vous encouragez la prise d’autonomie rapide...

    L’enfance n’est pas synonyme de dépendance. Devenir grand, devenir soi, c’est conquérir progressivement son autonomie en accumulant des expériences, des modes d’action et de communication, des pensées. Ce faisant, chaque enfant réinvente l’humanité. Je défendrai toujours l’autonomie, dans le sens de l’individuation. Pour grandir, le petit d’homme doit faire la différence entre lui et ses parents. Gœthe a écrit : « On est devenu adulte, quand on a par- donné à ses parents. » C’est tout à fait vrai. On est réellement sorti de l’adolescence quand on a compris que ses parents n’étaient pas pourvus de toutes les qualités qu’on avait imaginées et quand on leur a pardonné de n’être que ce qu’ils sont.

     

    « La naissance d’un enfant ne devrait pas
    seulement concerner ses parents, mais aussi
    ses grands-parents, ses oncles et tantes,
    ses frères et sœurs. »


    Comment trouvez-vous les enfants, aujourd’hui ?

    Ils ont acquis beaucoup de droits. On est définitivement sorti de l’époque où ils n’étaient envisagés qu’en fonction des adultes qu’ils deviendraient. Tant mieux. Mais du coup, les parents respectent tellement les droits de leurs enfants qu’ils ont du mal à leur fixer des limites. Ceux-ci grandissent avec un sentiment de toute-puissance qui peut se retourner contre eux. Certains d’ailleurs développent des com- portements agressifs pour créer des occasions de contacts : « Plus je t’embête, plus tu vas t’occuper de moi. » Par ailleurs, ils ont des difficultés à se sortir d’un système d’attachement/ détachement compliqué. D’autres enfin s’imaginent qu’ils peuvent tout faire, tout seuls. Sans rien demander à personne. Et ils s’isolent.



    Les adolescents vous paraissent-ils plus vulnérables aujourd’hui ?

    Ce qui est certain, c’est que la vie leur fait peur. Chaque année en France, 35 000 jeunes tentent de se suicider et 700 à 800 y parviennent. Le suicide est la deuxième cause de mortalité à l’adolescence. Or, quand on fait « l’autopsie psychologique » de ces jeunes, en lisant leurs derniers SMS ou messages laissés sur les réseaux sociaux, on s’aperçoit qu’ils étaient largués, isolés et qu’ils avaient moins peur d’affronter la mort que la vie. Il me paraît primordial d’examiner le lit de la souffrance qui entraîne ces actes suicidaires. En disant cela, je pense aussi aux jeunes qui commettent des actes terroristes et qui se suicident par la même occasion.

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