Par Emilie Gabillet
paru en décembre 2017
Aider N° 3
  • colère
  • destructeur
  • libération
  • Cas de Roger et Mireille
  • Cas de Léa et Marie
  • Différencier l’émotion et le comportement
  • Une pulsion de vie parfois

Mon sentiment de colère, destructeur ou libérateur ?

La colère fait partie des émotions naturelles dont on se sent parfois coupables. Pourtant, quand on l'examine de près, on s'aperçoit qu'elle vient nous éclairer sur ce qui se passe à l'intérieur de nous de manière souvent inconsciente. Ce qui est particulièrement important pour les aidants.


Sortons tout d’abord du clivage émotion positive/ émotion négative. La colère est une émotion naturelle et spontanée qui traduit une frustration liée au décalage entre la réalité telle qu’elle est et la réalité telle que l’on aimerait qu’elle soit. C’est une émotion pleine de nuances, on peut être en effet plus ou moins en colère : mécontent, exaspéré voire indigné. Elle peut s’exprimer dans des situations du quotidien très diverses.

Cas de Roger et Mireille


Roger est le proche aidant de son épouse Mireille, 71 ans qui est atteinte d’une maladie neurocognitive. Avec le temps, la pathologie a évolué et aujourd’hui Mireille ne reconnaît plus Roger comme son époux. Elle reconnaît la qualité de leur relation et le lien de confiance qui les unit, mais semble avoir effacé de sa mémoire le caractère intime de leur relation. Lorsque Roger vient la chercher en accueil de jour, son visage s’illumine et elle rit en lui caressant le bras, manifestant son plaisir à le retrouver. Elle est devenue très dépendante affectivement, le suivant partout dans l’appartement et supportant très difficilement que celui-ci ne soit pas dans son champ de vision. Sa présence la rassure, et Roger l’a bien compris, il se montre le plus disponible possible pour son épouse. S'il a su trouver en lui les ressources pour s’adapter à cette nouvelle façon d’être en lien, il éprouve beaucoup de difficultés dans une activité précise de la vie quotidienne : la toilette.

Ce moment de la matinée où il aide sa femme à faire sa toilette est devenu très délicat, et source de beaucoup de tensions au sein du couple. Madame ne reconnaissant plus Roger comme son conjoint, elle accepte mal de partager une telle intimité avec lui. Se déshabiller, se laisser aller à être touchée par Roger est devenu une véritable angoisse pour elle. Pour se défendre, elle crie, elle se débat, voire frappe son mari pour lui signifier qu’elle refuse qu’il pose les mains sur elle. Monsieur vit de façon très douloureuse ces moments dont il attend beaucoup de tendresse et de partage. Il accueille l’agressivité de Mireille avec beaucoup de souffrance et lui renvoie cette violence en miroir, criant lui-même, attrapant son épouse agitée avec violence pour tenter de la contenir. Si Madame n’est pas en mesure de se rappeler consciemment ce qui s’est passé le matin même, il est probable que ce moment de violence soit tout de même inscrit dans son corps tout au long de la journée.

Roger reconnaît que son état de tension perdure des heures après la toilette, et qu’il peut se montrer impatient voire agressif avec Mireille, durant d’autres activités de la journée. Cette situation a continué plusieurs mois avant que Roger ne craque et révèle son vécu à des professionnels de santé. Il a raconté une scène où sa femme l’avait giflé à table et où il l’avait giflée en retour. Très désemparé et très honteux, il se rend compte qu’il a aujourd’hui besoin d’aide pour apaiser les tensions qui n’ont fait que s’accroître ces derniers mois. Roger a eu la possibilité d’échanger avec plusieurs professionnels, et notamment une psychologue avec qui il a pu conscientiser qu’il avait beaucoup de mal à renoncer à ces moments de toilette qui étaient pour lui les derniers instants charnels de sa vie avec Mireille. Il a réussi à prendre conscience de la souffrance que pouvaient représenter ces instants pour son épouse très désorientée par la maladie. Il a rencontré une assistante sociale qui l’a accompagné vers un relais pour l’aide à la toilette. Une auxiliaire de vie a été accueillie par le couple, et acceptée progressivement par Mireille et par Roger. Les tensions au sein de la dyade aidant-aidé se sont beaucoup apaisées.

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