Par Laurent Searle
paru en décembre 2017
Aider N° 3
  • croire
  • espoir
  • handicap
  • histoire

    Choisir quand même le bleu de l’horizon

    La première chose que nous n’avons pas pu faire…c’est cesser d’y croire. Aurélie et Arnaud s’aiment. Tout va bien. Et puis, tout casse. Leur fils aîné, un an et demi, se noie dans une piscine. La réanimation permet au coeur de repartir, mais le corps, lui, ne se réveille pas…

    Partons ! Prenons l’avion, traversons les mers, l’Océan, atterrissons en plein soleil, au coeur de l’Île de La Réunion. Ça commence bien non ? ! Aujourd’hui la soeur d’Aurélie se marie, elle porte une robe blanche resplendissante, c’est le moment de partager son bonheur comme on partage sa vie. On danse ? Ce mariage est aussi l’occasion pour Aurélie et Arnaud, qui vivent toute l’année du côté de Lyon, de présenter à la famille leur jeune fils, Zacharie, un an et demi, et sa petite soeur, Déborah… Et les fleurs et les voeux et les acclamations sont autant adressés aux jeunes mariés qu’aux jeunes parents.


    Dans le jardin, les invités arrivent, il y a un cocktail d’accueil, il y a des retrouvailles, il y a des rires, un peu à l’écart, il y a une piscine, à côté de la piscine il y a un garçon, le garçon tombe on pourrait dire sans faire de bruit, un remous, les rires laissent la place à la stupéfaction. Qu’est-ce qui se passe, on ne sait pas, c’est grave, on ne sait pas, que faut-il faire, on ne sait pas. On peut le réanimer ? On ne sait pas. Une question qui rôde pour un enfant qui tombe à l’eau. Une question pour le pire, une question pour l’urgence, une question pour l’espoir, une question pour comprendre, une question pour la fatalité des choses, une question qui dit : « Il va bien ? Il respire ? », « Comment est-ce possible ? », « Comment est-ce arrivé ? » et « À qui la faute ? », oui, oui, tout de suite on se demande, « À qui la faute ? ». « Et cette piscine, elle était protégée ? », une question pleine de suspicion qu’on balaie d’un geste, une question à couper le souffle, quand un enfant se noie, ses parents coulent avec lui entraînant à leur suite, la famille, les amis, ceux qui étaient là, ceux qui ont vu, ceux qui n’en reviennent pas, ceux qui ont déjà compris, ceux qui ont un avis, les gens ont toujours un avis.


     

    Il y a la vie d’avant et la vie maintenant… Les problèmes qui se présentent exigent une adaptation immédiate.


     

    Des questions, des questions, des questions…


    Et finalement une seule question pour deux parents qui vont devoir tout reconstruire : comment va-t-on faire maintenant, que deviendra notre enfant, notre petit garçon dont le corps ne répond plus à aucune sollicitation ?


    Il n’y a pas de transition. Il y a la vie d’avant et la vie maintenant… Et les problèmes qui se présentent exigent une adaptation immédiate. L’hôpital, les institutions, la maison, le travail… découvrir de nouveaux univers, prendre des décisions avant même d’en mesurer les conséquences, tracer de nouvelles perspectives… Et quand même, choisir, continuer à vivre avec Déborah et bientôt avec Gabriel et Syméon, continuer à former une famille avec Zacharie. La première chose que nous n’avons pas pu faire c’est sacrifier notre vie.


    Il n’existe aucun délai pour assimiler cette nouvelle réalité. Évidemment, on pare au plus pressé, il faut s’adapter, s’adapter, s’adapter ! S’adapter et faire, tous les jours s’occuper de Zacharie : le nourrir, le soulager, l’aider dans son sommeil et tenter d’éveiller une sensation par une odeur, un goût, une main posée, un sourire, parler à Zacharie comme à un enfant de son âge, maintenir une certaine exigence, apporter un peu de confort, ranger sa chambre, refuser d’en faire une chambre d’enfant malade malgré les sondes, les tubes, le fauteuil, les protections. Tout compte. Aimer et faire. Faire et aimer. On peut imaginer que « faire » permet de construire, et que « aimer » permet de se projeter.


    Du jour au lendemain, c’est toute une organisation qu’il faut revoir, les gestes sont transformés mais le goût des rires et des larmes change aussi, et les discussions avec les amis !… Toutes les nuances de la vie sont altérées, comme si une seule couleur s’était imposée aux autres. Il faut tout repeindre en faisant bien attention au moment de choisir le bleu de l’horizon. L’espoir. Bien sûr l’espoir…

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