Cet entretien est la deuxième partie du dossier du l'empathie à lire dans le numéro 1 de Aider.
Propos recueillis par Karen Benchetrit
Qu’est-ce qui vous a conduit à réfléchir à cette notion d’empathie ?
J’y suis venu parce que c’est la dimension relationnelle et sociale de la psychologie positive qui m’intéressait plus particulièrement. Et de façon plus personnelle, sans doute parce que j’ai été confronté enfant à la violence d’un père. Plus tard, j’ai moi-même été un jeune violent et ce sont des rencontres faites à l’âge de 18 ans avec des gens bienveillants, sans jugement négatif, qui m’ont appris que la bonté humaine était plus puissante que la haine. J’ai fait ma thèse sur les enfants maltraités qui deviennent des parents affectueux. J’interviens souvent dans des groupes, auprès d’associations, telles que Jonathan pierre vivante, qui regroupe des parents qui ont perdu un ou plusieurs enfants.
Comment définissez-vous l’empathie ?
La question de la définition est importante… et subjective ! On s’en aperçoit quand on lit les auteurs qui ont travaillé sur le sujet et qui donnent des définitions assez diverses. J’opte pour ma part pour celle qu’en donne le psychologue Carl Rogers, dans le courant de la psychologie humaniste : « Sentir le monde privé de l’autre comme s’il était le vôtre, sans jamais oublier la qualité de “comme si” – telle est l’empathie. » Nous ne pouvons en effet jamais nous mettre à la place de l’autre. Selon cette approche, l’empathie est l’une des trois attitudes fondamentales à adopter par le thérapeute – à côté de la considération inconditionnelle et de l’authenticité. L’empathie du thérapeute se manifeste quand il perçoit les réactions et sentiments personnels éprouvés par le patient et qu’il réussit à lui communiquer cette compréhension.
Quelles dimensions revêt cette notion, selon vous ?
J’en distingue trois : l’empathie émotionnelle, l’empathie cognitive et l’empathie comportementale.
La première est cette capacité d’approcher l’émotion de l’autre sans fusion. L’empathie cognitive consiste à comprendre les pensées de l’autre sans forcément y adhérer : par exemple, j’ai appris avec le temps à l’éprouver pour des personnes racistes. Avant je confondais deux choses : le refus de ces idées et celui des personnes. Comprendre ne signifie pas être d’accord, encore moins justifier. L’empathie comportementale, moins étudiée, correspond à ce qu’on appelle les comportements caméléon : quelqu’un bâille, vous aurez tendance à bâiller. Il semble qu’elle soit corrélée à l’empathie émotionnelle : elle est d’autant plus forte que les affinités sont grandes et elle les renforce.
L’empathie est-elle une attitude toujours positive ?
Une personne qui a une forte empathie cognitive mais très peu d’empathie émotionnelle est dangereuse dans ses relations : elle peut être dans la manipulation de l’autre et n’éprouver aucune souffrance quand vous souffrez. C’est ce qui se passe dans le cas des pervers narcissiques.
Être empathique signifie-t-il se mettre à la place de l’autre ?
J’entends très souvent dans des groupes de parole des associations auprès desquelles j’interviens cette phrase dont l’intention est empathique mais qui peut s’avérer d’une grande violence : « Je me mets à ta place. » En réalité, mieux vaut être dans une posture modeste : je ne peux pas me mettre à ta place mais je vais essayer de t’accompagner. J’ai pu constater que c’est beaucoup mieux perçu par les personnes qui ont subi de lourds traumatismes en particulier.
Quelles erreurs les plus fréquentes fait-on face à la souffrance d’autrui ?
Notre réaction est souvent d’ouvrir une grande bouche et une grande main : donner beaucoup de conseils et faire des choses, animé de bonnes intentions. En réalité, ce dont les personnes en souffrance ont besoin, c’est d’avoir une grande oreille prête à écouter, sans intrusion bien sûr. Pendant longtemps, le dogme des personnes en souffrance était de se taire, maintenant, on a basculé dans l’obligation de parler. L’important est de sentir qu’on a la liberté de le faire.
Le fait d’avoir soi-même connu de grandes souffrances favorise-t-il une attitude empathique ?
Il n’y a aucune règle. Cela peut donner une capacité d’empathie émotionnelle plus grande, mais il y a aussi une limite à cela : c’est ce que j’appelle les effets miroirs excessifs. On le voit par exemple dans les groupes de femmes battues. Quand l’histoire d’une autre est racontée, l’ex-victime qui écoute peut voir la sienne rejaillir et être submergée, au détriment de l’écoute bienveillante. Ce n’est pas parce que vous êtes passé par là que vous êtes plus apte à écouter… Inversement, quelqu’un qui n’a pas un vécu similaire aura des limites dans sa compréhension du vécu émotionnel de l’autre, mais peut entendre des histoires très dures sans en être affecté. L’important, c’est toujours de bien connaître ses forces. Quand on a un parcours de résilience, il y a souvent le risque de penser que la voie que vous avez empruntée est forcément la bonne pour l’autre. Il est bon de parler de son expérience mais dans toute sa singularité. En étudiant la résilience, on se rend compte qu’il n’y a pas de parcours type, c’est vraiment une école de modestie.
Qu’est-ce qui permet de faire grandir cette qualité d’être ?
Il n’y a pas de méthode et je n’ai personnellement pas de réponse. Dans les groupes que j’anime, je fais un petit exercice avec des photos à forte charge émotionnelle : chacun choisit une ou deux photos, et ceux qui le souhaitent expliquent leur choix, suivi d’un échange de questions. Cela favorise l’empathie, parce que cela permet de comprendre l’autre en étant dans la seule écoute, pas dans le jugement des valeurs. Je crois surtout à une démarche par inspiration. Le plus important, c’est la spontanéité, l’authenticité et le respect d’autrui.
* Il a notamment publié La Bonté humaine. Altruisme, empathie, générosité (Odile Jacob, 2013), Guérir de son enfance (Odile Jacob, 2010) et La Résilience. Se reconstruire après un traumatisme (Rue d’Ulm, 2010). Dernier ouvrage paru : Le monde va beaucoup mieux que vous ne le croyez ! (Les Arènes, 2017).
Propos recueillis par Karen Benchetrit
Qu’est-ce qui vous a conduit à réfléchir à cette notion d’empathie ?
J’y suis venu parce que c’est la dimension relationnelle et sociale de la psychologie positive qui m’intéressait plus particulièrement. Et de façon plus personnelle, sans doute parce que j’ai été confronté enfant à la violence d’un père. Plus tard, j’ai moi-même été un jeune violent et ce sont des rencontres faites à l’âge de 18 ans avec des gens bienveillants, sans jugement négatif, qui m’ont appris que la bonté humaine était plus puissante que la haine. J’ai fait ma thèse sur les enfants maltraités qui deviennent des parents affectueux. J’interviens souvent dans des groupes, auprès d’associations, telles que Jonathan pierre vivante, qui regroupe des parents qui ont perdu un ou plusieurs enfants.
Comment définissez-vous l’empathie ?
La question de la définition est importante… et subjective ! On s’en aperçoit quand on lit les auteurs qui ont travaillé sur le sujet et qui donnent des définitions assez diverses. J’opte pour ma part pour celle qu’en donne le psychologue Carl Rogers, dans le courant de la psychologie humaniste : « Sentir le monde privé de l’autre comme s’il était le vôtre, sans jamais oublier la qualité de “comme si” – telle est l’empathie. » Nous ne pouvons en effet jamais nous mettre à la place de l’autre. Selon cette approche, l’empathie est l’une des trois attitudes fondamentales à adopter par le thérapeute – à côté de la considération inconditionnelle et de l’authenticité. L’empathie du thérapeute se manifeste quand il perçoit les réactions et sentiments personnels éprouvés par le patient et qu’il réussit à lui communiquer cette compréhension.
Quelles dimensions revêt cette notion, selon vous ?
J’en distingue trois : l’empathie émotionnelle, l’empathie cognitive et l’empathie comportementale.
La première est cette capacité d’approcher l’émotion de l’autre sans fusion. L’empathie cognitive consiste à comprendre les pensées de l’autre sans forcément y adhérer : par exemple, j’ai appris avec le temps à l’éprouver pour des personnes racistes. Avant je confondais deux choses : le refus de ces idées et celui des personnes. Comprendre ne signifie pas être d’accord, encore moins justifier. L’empathie comportementale, moins étudiée, correspond à ce qu’on appelle les comportements caméléon : quelqu’un bâille, vous aurez tendance à bâiller. Il semble qu’elle soit corrélée à l’empathie émotionnelle : elle est d’autant plus forte que les affinités sont grandes et elle les renforce.
L’empathie est-elle une attitude toujours positive ?
Une personne qui a une forte empathie cognitive mais très peu d’empathie émotionnelle est dangereuse dans ses relations : elle peut être dans la manipulation de l’autre et n’éprouver aucune souffrance quand vous souffrez. C’est ce qui se passe dans le cas des pervers narcissiques.
Être empathique signifie-t-il se mettre à la place de l’autre ?
J’entends très souvent dans des groupes de parole des associations auprès desquelles j’interviens cette phrase dont l’intention est empathique mais qui peut s’avérer d’une grande violence : « Je me mets à ta place. » En réalité, mieux vaut être dans une posture modeste : je ne peux pas me mettre à ta place mais je vais essayer de t’accompagner. J’ai pu constater que c’est beaucoup mieux perçu par les personnes qui ont subi de lourds traumatismes en particulier.
Quelles erreurs les plus fréquentes fait-on face à la souffrance d’autrui ?
Notre réaction est souvent d’ouvrir une grande bouche et une grande main : donner beaucoup de conseils et faire des choses, animé de bonnes intentions. En réalité, ce dont les personnes en souffrance ont besoin, c’est d’avoir une grande oreille prête à écouter, sans intrusion bien sûr. Pendant longtemps, le dogme des personnes en souffrance était de se taire, maintenant, on a basculé dans l’obligation de parler. L’important est de sentir qu’on a la liberté de le faire.
Le fait d’avoir soi-même connu de grandes souffrances favorise-t-il une attitude empathique ?
Il n’y a aucune règle. Cela peut donner une capacité d’empathie émotionnelle plus grande, mais il y a aussi une limite à cela : c’est ce que j’appelle les effets miroirs excessifs. On le voit par exemple dans les groupes de femmes battues. Quand l’histoire d’une autre est racontée, l’ex-victime qui écoute peut voir la sienne rejaillir et être submergée, au détriment de l’écoute bienveillante. Ce n’est pas parce que vous êtes passé par là que vous êtes plus apte à écouter… Inversement, quelqu’un qui n’a pas un vécu similaire aura des limites dans sa compréhension du vécu émotionnel de l’autre, mais peut entendre des histoires très dures sans en être affecté. L’important, c’est toujours de bien connaître ses forces. Quand on a un parcours de résilience, il y a souvent le risque de penser que la voie que vous avez empruntée est forcément la bonne pour l’autre. Il est bon de parler de son expérience mais dans toute sa singularité. En étudiant la résilience, on se rend compte qu’il n’y a pas de parcours type, c’est vraiment une école de modestie.
Qu’est-ce qui permet de faire grandir cette qualité d’être ?
Il n’y a pas de méthode et je n’ai personnellement pas de réponse. Dans les groupes que j’anime, je fais un petit exercice avec des photos à forte charge émotionnelle : chacun choisit une ou deux photos, et ceux qui le souhaitent expliquent leur choix, suivi d’un échange de questions. Cela favorise l’empathie, parce que cela permet de comprendre l’autre en étant dans la seule écoute, pas dans le jugement des valeurs. Je crois surtout à une démarche par inspiration. Le plus important, c’est la spontanéité, l’authenticité et le respect d’autrui.
* Il a notamment publié La Bonté humaine. Altruisme, empathie, générosité (Odile Jacob, 2013), Guérir de son enfance (Odile Jacob, 2010) et La Résilience. Se reconstruire après un traumatisme (Rue d’Ulm, 2010). Dernier ouvrage paru : Le monde va beaucoup mieux que vous ne le croyez ! (Les Arènes, 2017).