À l’âge de quatorze ans, lors d’un voyage en Italie avec son père, Mozart assista aux matines du mercredi 11 avril de la Semaine sainte à la chapelle Sixtine, unique occasion de pouvoir entendre le Miserere d’Allegri. Le Vatican avait en effet interdit toute retranscription de l’oeuvre, menaçant d’excommunication celui qui diffuserait la partition à laquelle seuls les choristes avaient accès. Le soir même, le jeune et irrespectueux Wolfgang réécrivit de tête le Miserere – même s’il retourna à la chapelle Sixtine le vendredi suivant corriger quelques éventuelles erreurs. Il y a de quoi être à la fois admiratif et envieux (ce qui n’a pas manqué d’arriver, certains mauvais esprits ayant accusé Mozart d’avoir volé la partition). Qui parmi nous ne rêverait pas d’une telle mémoire, aux capacités de stockage presque illimitées, rejoignant le souhait de Dali qui affirmait :« Je rêve de pouvoir me souvenir de tout ?» La mémoire est le pendant du génie, de l’intelligence, elle est intimement liée à la pensée, au savoir et donc au pouvoir (celui qui a une excellente mémoire a bien évidemment plus d’efficacité que celui qui oublie tout).
À l’inverse, l’oubli est privation, perte de vérité, ainsi qu’en témoigne la mythologie grecque. Dans les Enfers, le Léthé est le fleuve de l’oubli, auquel s’abreuvaient les âmes des Justes lorsqu’ils repartaient à la surface intégrer un nouveau corps. Si l’oubli se dit Léthé, sa négation Aléthéia – mot composé du« a » privatif et de léthé –, signifie en grec Vérité. Voilà qui semble parler de soi : l’aléthéia, la vérité, est absence d’oubli, ce phénomène destructeur qui replonge dans l’ignorance.
Dans le prolongement de cette étymologie, nous considérons le plus souvent l’oubli comme une lacune. Il est à nos yeux défaillance, signe de vieillissement et de dégénérescence, tandis que la mémoire est associée à un cerveau qui fonctionne bien, à la bonne santé intellectuelle. Face à elle, l’oubli est l’objet de toutes les disqualifications, que ce soit pour l’oubli « normal », qui nous pénalise et nous agace lorsque nous avons un mot sur le bout de la langue, obstacle à la vérité et à la connaissance, ou pour l’oubli « pathologique », ce drame qui effraie de par la perte de soi qu’il signifie.
La mémoire est ainsi non seulement ce que l’on désire, une qualité indéniable, mais elle est aussi parfois un devoir : oublier, c’est être immoral ; c’est ne pas se souvenir de ceux qui, par exemple, sont morts pour la patrie ou ont été massacrés par idéologie. Tel est le sens du « devoir de mémoire » : il faut se souvenir pour ne pas recommencer (bien qu’il n’ait pas été prouvé que l’on pouvait tirer des leçons de l’histoire) ! Il faut se souvenir pour que, comme l’écrivait Hérodote considéré comme le premier historien, « le temps n'abolisse pas le souvenir des actions des hommes et que les grands exploits accomplis soit par les Grecs, soit par les Barbares, ne tombent pas dans l'oubli » (L'Enquête Livre V). En effet, « les morts ne sont vraiment morts que lorsqu’il n’y a plus personne pour penser à eux », a écrit saint Augustin.
L’oubli était donc déjà une perte, une lacune, parfois une pathologie, et il est maintenant du côté de la mort. Oublier, c’est mourir ou s’approcher de la mort, mais c’est aussi faire mourir. C’est perdre et se perdre. Cette vision si calamiteuse s’explique en partie par ce qui précède, ma
L’oubli comme perte
À l’inverse, l’oubli est privation, perte de vérité, ainsi qu’en témoigne la mythologie grecque. Dans les Enfers, le Léthé est le fleuve de l’oubli, auquel s’abreuvaient les âmes des Justes lorsqu’ils repartaient à la surface intégrer un nouveau corps. Si l’oubli se dit Léthé, sa négation Aléthéia – mot composé du« a » privatif et de léthé –, signifie en grec Vérité. Voilà qui semble parler de soi : l’aléthéia, la vérité, est absence d’oubli, ce phénomène destructeur qui replonge dans l’ignorance.
Dans le prolongement de cette étymologie, nous considérons le plus souvent l’oubli comme une lacune. Il est à nos yeux défaillance, signe de vieillissement et de dégénérescence, tandis que la mémoire est associée à un cerveau qui fonctionne bien, à la bonne santé intellectuelle. Face à elle, l’oubli est l’objet de toutes les disqualifications, que ce soit pour l’oubli « normal », qui nous pénalise et nous agace lorsque nous avons un mot sur le bout de la langue, obstacle à la vérité et à la connaissance, ou pour l’oubli « pathologique », ce drame qui effraie de par la perte de soi qu’il signifie.
Être soi, c’est avoir conscience de son passé, s’identifier à lui. Perdre ses souvenirs, c'est se perdre.
La mémoire est ainsi non seulement ce que l’on désire, une qualité indéniable, mais elle est aussi parfois un devoir : oublier, c’est être immoral ; c’est ne pas se souvenir de ceux qui, par exemple, sont morts pour la patrie ou ont été massacrés par idéologie. Tel est le sens du « devoir de mémoire » : il faut se souvenir pour ne pas recommencer (bien qu’il n’ait pas été prouvé que l’on pouvait tirer des leçons de l’histoire) ! Il faut se souvenir pour que, comme l’écrivait Hérodote considéré comme le premier historien, « le temps n'abolisse pas le souvenir des actions des hommes et que les grands exploits accomplis soit par les Grecs, soit par les Barbares, ne tombent pas dans l'oubli » (L'Enquête Livre V). En effet, « les morts ne sont vraiment morts que lorsqu’il n’y a plus personne pour penser à eux », a écrit saint Augustin.
Oublier, c’est mourir un peu
L’oubli était donc déjà une perte, une lacune, parfois une pathologie, et il est maintenant du côté de la mort. Oublier, c’est mourir ou s’approcher de la mort, mais c’est aussi faire mourir. C’est perdre et se perdre. Cette vision si calamiteuse s’explique en partie par ce qui précède, ma
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Très bon article