Photos Serge Verglas
Pour Hayette, se déplacer en ville et dans les transports en commun n’est pas une partie de plaisir. Cette jeune sportive de 26 ans, myopathe, doit composer au quotidien avec une mobilité qui se restreint d’année en année. Elle se retrouve, chaque jour, confrontée à l'inaccessibilité des gares, trains, routes et espaces publics. Ce qui ne l’empêche pas de travailler, de sortir… et de vivre à cent à l’heure !
8 h 50
Le tramway s’arrête dans le quartier parisien de la Défense, et Hayette Djennane en descend. « Bonjour ! Vous allez bien ? » Pétillante, drôle, un large sourire aux lèvres, la jeune femme vient de souffler ses vingt-six bougies. À six ans, elle a été diagnostiquée myopathe, comme sa mère et l'une de ses tantes. « C'est une maladie dégénérative : au fil des ans, je perds de plus en plus de force dans les bras et les jambes. Aujourd’hui, j’ai beaucoup de mal à marcher. » Si Hayette respire la joie de vivre, accepter le handicap n’a pas été facile. « Personne dans mon entourage n'était au courant de ma maladie, je n'en parlais pas. Au début, je refusais de sortir en fauteuil. Maintenant je ne me déplace que comme ça : je ne peux plus faire autrement. »
11 h 00
La matinée bat son plein pour Hayette qui circule entre les bureaux et les étages de l’immense tour où elle travaille comme chargée de projet à la mission Handicap et à la Fondation Deloitte. « Je passe souvent ma journée sur place, mais il arrive que j’aie des déplacements. Et à chaque fois se pose le même dilemme : transport en commun ou taxi ? Les transports sont moins chers, mais lorsque j'ai un rendez-vous je dois prendre au moins une heure de marge ! C’est épuisant. Alors je choisis souvent l'option taxi. » La plupart du temps, Hayette ne prévient pas le chauffeur de son handicap... au risque de le voir tourner les roues sous prétexte que son fauteuil ne rentrera pas dans la voiture.
16 h 00
Hayette regarde sa montre. Dans une heure commence sa séance de balnéothérapie. Il faut y aller ! Le centre hospitalier d’Argenteuil, ce n’est pas la porte à côté… Elle se presse jusqu’à l’arrêt de tramway. « Mes horaires sont aménagés pour que je puisse faire mes soins, quatre fois par semaine. Parfois, je repasse chez moi avant d’y aller, mais cela use l’autonomie de mon fauteuil. Je dois rester vigilante à la jauge de batterie si je veux sortir le soir. » Et il se trouve qu’aujourd’hui Hayette a prévu de se rendre avec des amis à un meeting politique où interviendra la ministre de la santé, Agnès Buzyn.
16 h 20
À la sortie du tramway, Hayette file à toute allure. Son fauteuil a été débridé pour lui permettre une plus grande vitesse. Si elle utilisait les transports en commun, elle devrait maintenant prendre quatre bus jusqu’au lieu de sa balnéothérapie – la seule du département. Sans compter l'affluence dans chacun d’eux, incitant les chauffeurs à lui refuser l'accès. Alors Hayette préfère s’y rendre par ses propres moyens. Elle ne s’en émeut pas : « Quand je suis en fauteuil je suis indépendante : je n’ai besoin de personne pour m’aider, pour m’installer une rampe. Je mets mon casque, j’écoute de la house à fond, et je suis bien. Je n’entends pas les réflexions des gens, leurs soupirs, je ne vois pas leur mine déprimée... Je regarde le ciel ! »
16 h 40
Aïe ! Le parcours se corse au moment de passer sur le pont d’Argenteuil : le trottoir au bord de la route est truffé de nids-de-poule dans lesquels se prennent les roues du fauteuil d’Hayette. « Un fauteuil comme celui-là, entièrement financé par la Sécurité sociale, est censé tenir trois ans… Je ne l’ai que depuis un an et il est déjà abîmé ! » Elle slalome entre les trous sur la voie glissante. « Et je ne vous raconte pas quand il pleut... » Tiens ? Quelques gouttes sont justement en train de tomber. Hayette dégaine le parapluie, rangé dans son dos…, qui peine à s’ouvrir. « Lui aussi il est handicapé ! », s’amuse la jeune femme qui ne perd pas sa bonne humeur. À peine a-t-elle quitté le pont qu’Hayette rencontre une autre difficulté : un poteau se trouvant au milieu du trottoir l’oblige à en redescendre. Coup d’oeil à droite, coup d’oeil à gauche, elle s’engage sur la route aux côtés des voitures. L’une d’elle file à toute vitesse juste à côté d’elle et se déporte au dernier moment pour l’éviter… de quoi se faire une petite frayeur ! Plus tard, ce sont des travaux qui obstruent le passage d’Hayette. Puis une voiture mal garée. Puis une poubelle renversée. Et ainsi de suite. La jeune femme ne se laisse pas démotiver par ces embûches à répétition : elle se glisse dans les petits passages, adapte sa trajectoire. « C’est dans ces moment-là que l’on voit si je suis une bonne pilote ! »
17 h 00
Hayette arrive à l’hôpital d’Argenteuil, juste à temps pour sa balnéothérapie. Elle en a deux séances par semaine, et deux de kinésithérapie. Toutes sont essentielles. Elles lui permettent de conserver le maximum de mobilité au quotidien, et de poursuivre sa pratique sportive de voltige en tandem – qui lui a valu trois médailles d'or aux championnats de France handisport ! « À chaque séance, je travaille les muscles dont j’ai besoin pour le parachutisme. C'est comme un entraînement. » Mais Hayette est lucide : cela n'arrêtera pas la maladie. « Les soins apaisent mon corps mais ne le guérissent pas. À moi de trouver le juste équilibre entre mes limites physiques et mon envie de performer. Je ne suis pas une sportive comme les autres : si je rate l'occasion d'être la meilleure aujourd'hui, je ne pourrai pas me rattraper dans deux ans. » Alors pas question de traîner ! Hayette s’engouffre dans le hall de l’hôpital.
19 h 00
Après un dîner rapide, Hayette claque la porte de chez elle. Elle se met en route pour retrouver ses amis au meeting politique. Direction le tramway jusqu’à la Défense où elle prendra le train qui l'y conduira. Mais une fois arrivée, changement de programme : la gare n’est pas tenue. Comprendre : personne ne se trouve sur place pour installer la rampe lui permettant de monter dans le train. « Il va falloir prendre le bus. C’est plus long, mais bon… »
23 h 15
Le meeting terminé, Hayette ne traîne pas : elle sait que le trajet est long. Le bus la dépose de nouveau à la Défense : « Merci pour la rampe ! », claironne-t-elle en descendant avec un geste de la main. Pour reprendre le tramway, elle doit maintenant emprunter un ascenseur… qui est en maintenance. Il va falloir s’adapter de nouveau. « Je craque là… », s’agace Hayette qui a perdu son sourire. « Et c'est toujours comme ça... Bienvenue dans ma vie ! » Elle regarde l’écran au-dessus de sa tête. Dans quinze minutes, il y a un bus pour Colombes : le trajet est encore rallongé ! Et cette fois, le conducteur doit s’y prendre à deux reprises pour faire descendre la rampe à ses pieds.
00 h 30
Ouf ! Enfin de retour chez elle, Hayette se détend. Demain, vendredi, est un jour de repos. Mais pas question de buller : elle s’est engagée à passer dans son ancien établissement scolaire à Vaucresson – le seul mixte handicapés- valides de France – pour échanger avec les élèves sur son parcours professionnel et sportif. Hayette a de l'énergie à revendre. En plus du sport, elle est investie dans des associations et dans la commission handicap et accessibilité de sa ville. Elle y milite pour la mise en place d'une meilleure signalétique, pour l'aménagement des bâtiments et voies urbaines en faveur des personnes handicapées. À côté de ces engagements, la jeune femme ne se prive pas de sortir pour le plaisir. Demain soir, elle assistera d'ailleurs à son premier cours de théâtre d'improvisation. « L’impro m’a toujours intriguée… alors j’ai envie d’essayer ! » Hayette ne considère pas le handicap comme un obstacle pour vivre et faire des rencontres. « Il y a un comportement à avoir. Les gens peuvent parfois me plaindre, mais c'est à moi de faire comprendre que cette situation n'est pas gravissime. Que je ne suis pas le miroir de mon handicap, mais de ce que je suis et de ce que je suis prête à donner ! »
Au quotidien, Hayette est sans cesse confrontée à des situations d’inaccessibilité plus absurdes les unes que les autres. Elle nous en livre quelques exemples… déroutants.
Trottoir sans « bateaux »
« Lorsque je roule vers ma balnéothérapie, il y a ce trottoir sur lequel je sais que je ne dois pas monter. Pourquoi ? Parce qu’il n’est pas abaissé à distances régulières. Conséquence : au moment où je dois le quitter pour traverser la route, impossible. Il est trop haut pour que je puisse en descendre sans risquer de me blesser ou d’abîmer le fauteuil. Je suis bloquée. Si j’ai fait l’erreur de monter, je dois rebrousser chemin. Bien sûr, les automobilistes n’ont pas conscience de cela. Il m’arrive donc régulièrement de me faire klaxonner par des conducteurs ne comprenant pas ce que je fais sur la route au milieu des voitures. »
Gare sans personnel
« Pour me rendre dans mon ancien lycée, à Vaucresson, le trajet le plus rapide est de prendre le tramway jusqu’à la Défense, puis le Transilien. À la Défense, tout va bien : quelqu’un se trouve sur place pour installer la rampe qui me permet de monter. Mais un coup de téléphone à la gare d’arrivée m’informe que personne n’est présent là-bas pour me réceptionner. Je peux donc monter dans le train…, mais je ne pourrai pas en redescendre. Et les vingt minutes de trajet ne sont pas estimées suffisantes pour mobiliser un agent, me dit-on. Il faut donc que j’emprunte le parcours long avec plus de correspondances. Évidemment, il est inutile d’appeler la gare la veille d’un déplacement pour savoir si elle est tenue. Ce qui est un vrai un jour, ne l’est pas forcément le lendemain. Donc, chaque fois c’est la surprise pour moi. »
Bus trop étroit
« À Vaucresson, deux bus passent à proximité de mon ancien lycée. Mais je ne peux en emprunter qu’un seul : l’autre ne dispose pas d’une rampe assez large pour permettre à un fauteuil électrique de monter. À l’intérieur, un espace est pourtant prévu pour accueillir les personnes à mobilité réduite. Mais elles ne peuvent y entrer que si elles sont en fauteuil manuel, donc accompagnées. L’autonomie n’est pas possible. »
Sol du quai trop bas
Quand je me rends à Paris, j’emprunte souvent le RER A. Dans certaines gares, je n’ai aucune difficulté à entrer, à prendre l’ascenseur, à descendre jusqu’au quai… et là soudain, patatras. Impossible de monter dans le train à cause de l’espace trop important entre le marchepied et le sol du quai. Dans ces gares-là, l’accessibilité a été pensée… à moitié ! »
Cabinet de kinésithérapie pas aux normes d’accessibilité
« Le cabinet qui m'accueille deux fois par semaine n'est pas accessible aux personnes à mobilité réduite. Je ne peux donc pas y aller seule : je dois prévoir un fauteuil manuel transportable et faire appel à un taxi pour m’y rendre, car mon fauteuil électrique ne rentre pas dans une voiture. »
Force est d’admettre qu’il reste du chemin à parcourir pour rendre la majorité des transports parisiens accessibles aux personnes à mobilité réduite. Sur son site, la RATP propose une liste des stations de RER et de métro accessibles. Elle est vite balayée. Côté métro, seule la ligne 14 – soit neuf stations – est praticable par les personnes en situation de handicap. Concernant les RER, malgré l’exhaustivité apparente du catalogue (qui ne concerne que deux lignes), il n’existe qu’une dizaine de gares accessibles dans Paris intra-muros. Les tramways ne circulant qu’en banlieue, il ne reste pour se déplacer dans la capitale que les bus. Tous munis d’une rampe automatique, mais dépendants des aléas du trafic urbain.
Alors quoi, faut-il faire le tour de la capitale pour aller d’un point A à un point B ? Ou prévoir une heure et demie de transport contre quarante-cinq minutes pour une personne valide ? Pour le moment, oui. Sans compter les coups de téléphone aux gares RER pour s’assurer qu’il sera possible d’installer une rampe. Sans compter les ascenseurs en panne obligeant à modifier son trajet. Sans compter le manque de place dans les bus surchargés aux heures de pointe. Qu’en sera-t-il demain ? Le projet du Grand Paris est de rendre l’ensemble des nouvelles lignes prévues pour 2030 (15, 16, 17 et 18) praticables par tous : meilleurs éclairages, signalétiques, ascenseurs systématiques. Ce qui ne fera pas oublier que le centre de la capitale restera quant à lui inaccessible par voie souterraine – pour la RATP, le métro « historique » du coeur de Paris souffre de trop de contraintes techniques pour être mis aux normes. Ce qui ne fera pas non plus oublier que les efforts à fournir ne sont pas uniquement matériels. Le manque d’accompagnement humain des personnes en situation de handicap est criant : pas de prises en charge en cas d’absence de place dans un bus ; pas d’informations sur les itinéraires alternatifs en cas de panne d’ascenseur ou de perturbation du trafic ; trop peu de personnel en gare pour installer des rampes d’accès… Quelles réponses le Grand Paris apportera-t-il sur ces sujets ? Tiendra-t-il sa promesse d’une capitale plus accessible ? La question reste ouverte.
Pour Hayette, se déplacer en ville et dans les transports en commun n’est pas une partie de plaisir. Cette jeune sportive de 26 ans, myopathe, doit composer au quotidien avec une mobilité qui se restreint d’année en année. Elle se retrouve, chaque jour, confrontée à l'inaccessibilité des gares, trains, routes et espaces publics. Ce qui ne l’empêche pas de travailler, de sortir… et de vivre à cent à l’heure !
8 h 50
Le tramway s’arrête dans le quartier parisien de la Défense, et Hayette Djennane en descend. « Bonjour ! Vous allez bien ? » Pétillante, drôle, un large sourire aux lèvres, la jeune femme vient de souffler ses vingt-six bougies. À six ans, elle a été diagnostiquée myopathe, comme sa mère et l'une de ses tantes. « C'est une maladie dégénérative : au fil des ans, je perds de plus en plus de force dans les bras et les jambes. Aujourd’hui, j’ai beaucoup de mal à marcher. » Si Hayette respire la joie de vivre, accepter le handicap n’a pas été facile. « Personne dans mon entourage n'était au courant de ma maladie, je n'en parlais pas. Au début, je refusais de sortir en fauteuil. Maintenant je ne me déplace que comme ça : je ne peux plus faire autrement. »
11 h 00
La matinée bat son plein pour Hayette qui circule entre les bureaux et les étages de l’immense tour où elle travaille comme chargée de projet à la mission Handicap et à la Fondation Deloitte. « Je passe souvent ma journée sur place, mais il arrive que j’aie des déplacements. Et à chaque fois se pose le même dilemme : transport en commun ou taxi ? Les transports sont moins chers, mais lorsque j'ai un rendez-vous je dois prendre au moins une heure de marge ! C’est épuisant. Alors je choisis souvent l'option taxi. » La plupart du temps, Hayette ne prévient pas le chauffeur de son handicap... au risque de le voir tourner les roues sous prétexte que son fauteuil ne rentrera pas dans la voiture.
16 h 00
Hayette regarde sa montre. Dans une heure commence sa séance de balnéothérapie. Il faut y aller ! Le centre hospitalier d’Argenteuil, ce n’est pas la porte à côté… Elle se presse jusqu’à l’arrêt de tramway. « Mes horaires sont aménagés pour que je puisse faire mes soins, quatre fois par semaine. Parfois, je repasse chez moi avant d’y aller, mais cela use l’autonomie de mon fauteuil. Je dois rester vigilante à la jauge de batterie si je veux sortir le soir. » Et il se trouve qu’aujourd’hui Hayette a prévu de se rendre avec des amis à un meeting politique où interviendra la ministre de la santé, Agnès Buzyn.
16 h 20
À la sortie du tramway, Hayette file à toute allure. Son fauteuil a été débridé pour lui permettre une plus grande vitesse. Si elle utilisait les transports en commun, elle devrait maintenant prendre quatre bus jusqu’au lieu de sa balnéothérapie – la seule du département. Sans compter l'affluence dans chacun d’eux, incitant les chauffeurs à lui refuser l'accès. Alors Hayette préfère s’y rendre par ses propres moyens. Elle ne s’en émeut pas : « Quand je suis en fauteuil je suis indépendante : je n’ai besoin de personne pour m’aider, pour m’installer une rampe. Je mets mon casque, j’écoute de la house à fond, et je suis bien. Je n’entends pas les réflexions des gens, leurs soupirs, je ne vois pas leur mine déprimée... Je regarde le ciel ! »
16 h 40
Aïe ! Le parcours se corse au moment de passer sur le pont d’Argenteuil : le trottoir au bord de la route est truffé de nids-de-poule dans lesquels se prennent les roues du fauteuil d’Hayette. « Un fauteuil comme celui-là, entièrement financé par la Sécurité sociale, est censé tenir trois ans… Je ne l’ai que depuis un an et il est déjà abîmé ! » Elle slalome entre les trous sur la voie glissante. « Et je ne vous raconte pas quand il pleut... » Tiens ? Quelques gouttes sont justement en train de tomber. Hayette dégaine le parapluie, rangé dans son dos…, qui peine à s’ouvrir. « Lui aussi il est handicapé ! », s’amuse la jeune femme qui ne perd pas sa bonne humeur. À peine a-t-elle quitté le pont qu’Hayette rencontre une autre difficulté : un poteau se trouvant au milieu du trottoir l’oblige à en redescendre. Coup d’oeil à droite, coup d’oeil à gauche, elle s’engage sur la route aux côtés des voitures. L’une d’elle file à toute vitesse juste à côté d’elle et se déporte au dernier moment pour l’éviter… de quoi se faire une petite frayeur ! Plus tard, ce sont des travaux qui obstruent le passage d’Hayette. Puis une voiture mal garée. Puis une poubelle renversée. Et ainsi de suite. La jeune femme ne se laisse pas démotiver par ces embûches à répétition : elle se glisse dans les petits passages, adapte sa trajectoire. « C’est dans ces moment-là que l’on voit si je suis une bonne pilote ! »
17 h 00
Hayette arrive à l’hôpital d’Argenteuil, juste à temps pour sa balnéothérapie. Elle en a deux séances par semaine, et deux de kinésithérapie. Toutes sont essentielles. Elles lui permettent de conserver le maximum de mobilité au quotidien, et de poursuivre sa pratique sportive de voltige en tandem – qui lui a valu trois médailles d'or aux championnats de France handisport ! « À chaque séance, je travaille les muscles dont j’ai besoin pour le parachutisme. C'est comme un entraînement. » Mais Hayette est lucide : cela n'arrêtera pas la maladie. « Les soins apaisent mon corps mais ne le guérissent pas. À moi de trouver le juste équilibre entre mes limites physiques et mon envie de performer. Je ne suis pas une sportive comme les autres : si je rate l'occasion d'être la meilleure aujourd'hui, je ne pourrai pas me rattraper dans deux ans. » Alors pas question de traîner ! Hayette s’engouffre dans le hall de l’hôpital.
19 h 00
Après un dîner rapide, Hayette claque la porte de chez elle. Elle se met en route pour retrouver ses amis au meeting politique. Direction le tramway jusqu’à la Défense où elle prendra le train qui l'y conduira. Mais une fois arrivée, changement de programme : la gare n’est pas tenue. Comprendre : personne ne se trouve sur place pour installer la rampe lui permettant de monter dans le train. « Il va falloir prendre le bus. C’est plus long, mais bon… »
23 h 15
Le meeting terminé, Hayette ne traîne pas : elle sait que le trajet est long. Le bus la dépose de nouveau à la Défense : « Merci pour la rampe ! », claironne-t-elle en descendant avec un geste de la main. Pour reprendre le tramway, elle doit maintenant emprunter un ascenseur… qui est en maintenance. Il va falloir s’adapter de nouveau. « Je craque là… », s’agace Hayette qui a perdu son sourire. « Et c'est toujours comme ça... Bienvenue dans ma vie ! » Elle regarde l’écran au-dessus de sa tête. Dans quinze minutes, il y a un bus pour Colombes : le trajet est encore rallongé ! Et cette fois, le conducteur doit s’y prendre à deux reprises pour faire descendre la rampe à ses pieds.
00 h 30
Ouf ! Enfin de retour chez elle, Hayette se détend. Demain, vendredi, est un jour de repos. Mais pas question de buller : elle s’est engagée à passer dans son ancien établissement scolaire à Vaucresson – le seul mixte handicapés- valides de France – pour échanger avec les élèves sur son parcours professionnel et sportif. Hayette a de l'énergie à revendre. En plus du sport, elle est investie dans des associations et dans la commission handicap et accessibilité de sa ville. Elle y milite pour la mise en place d'une meilleure signalétique, pour l'aménagement des bâtiments et voies urbaines en faveur des personnes handicapées. À côté de ces engagements, la jeune femme ne se prive pas de sortir pour le plaisir. Demain soir, elle assistera d'ailleurs à son premier cours de théâtre d'improvisation. « L’impro m’a toujours intriguée… alors j’ai envie d’essayer ! » Hayette ne considère pas le handicap comme un obstacle pour vivre et faire des rencontres. « Il y a un comportement à avoir. Les gens peuvent parfois me plaindre, mais c'est à moi de faire comprendre que cette situation n'est pas gravissime. Que je ne suis pas le miroir de mon handicap, mais de ce que je suis et de ce que je suis prête à donner ! »
5 flagrants délits d'inaccessibilité
Au quotidien, Hayette est sans cesse confrontée à des situations d’inaccessibilité plus absurdes les unes que les autres. Elle nous en livre quelques exemples… déroutants.
Trottoir sans « bateaux »
« Lorsque je roule vers ma balnéothérapie, il y a ce trottoir sur lequel je sais que je ne dois pas monter. Pourquoi ? Parce qu’il n’est pas abaissé à distances régulières. Conséquence : au moment où je dois le quitter pour traverser la route, impossible. Il est trop haut pour que je puisse en descendre sans risquer de me blesser ou d’abîmer le fauteuil. Je suis bloquée. Si j’ai fait l’erreur de monter, je dois rebrousser chemin. Bien sûr, les automobilistes n’ont pas conscience de cela. Il m’arrive donc régulièrement de me faire klaxonner par des conducteurs ne comprenant pas ce que je fais sur la route au milieu des voitures. »
Gare sans personnel
« Pour me rendre dans mon ancien lycée, à Vaucresson, le trajet le plus rapide est de prendre le tramway jusqu’à la Défense, puis le Transilien. À la Défense, tout va bien : quelqu’un se trouve sur place pour installer la rampe qui me permet de monter. Mais un coup de téléphone à la gare d’arrivée m’informe que personne n’est présent là-bas pour me réceptionner. Je peux donc monter dans le train…, mais je ne pourrai pas en redescendre. Et les vingt minutes de trajet ne sont pas estimées suffisantes pour mobiliser un agent, me dit-on. Il faut donc que j’emprunte le parcours long avec plus de correspondances. Évidemment, il est inutile d’appeler la gare la veille d’un déplacement pour savoir si elle est tenue. Ce qui est un vrai un jour, ne l’est pas forcément le lendemain. Donc, chaque fois c’est la surprise pour moi. »
Bus trop étroit
« À Vaucresson, deux bus passent à proximité de mon ancien lycée. Mais je ne peux en emprunter qu’un seul : l’autre ne dispose pas d’une rampe assez large pour permettre à un fauteuil électrique de monter. À l’intérieur, un espace est pourtant prévu pour accueillir les personnes à mobilité réduite. Mais elles ne peuvent y entrer que si elles sont en fauteuil manuel, donc accompagnées. L’autonomie n’est pas possible. »
Sol du quai trop bas
Quand je me rends à Paris, j’emprunte souvent le RER A. Dans certaines gares, je n’ai aucune difficulté à entrer, à prendre l’ascenseur, à descendre jusqu’au quai… et là soudain, patatras. Impossible de monter dans le train à cause de l’espace trop important entre le marchepied et le sol du quai. Dans ces gares-là, l’accessibilité a été pensée… à moitié ! »
Cabinet de kinésithérapie pas aux normes d’accessibilité
« Le cabinet qui m'accueille deux fois par semaine n'est pas accessible aux personnes à mobilité réduite. Je ne peux donc pas y aller seule : je dois prévoir un fauteuil manuel transportable et faire appel à un taxi pour m’y rendre, car mon fauteuil électrique ne rentre pas dans une voiture. »
GRAND PARIS : Quelle accessibilité pour demain ?
Force est d’admettre qu’il reste du chemin à parcourir pour rendre la majorité des transports parisiens accessibles aux personnes à mobilité réduite. Sur son site, la RATP propose une liste des stations de RER et de métro accessibles. Elle est vite balayée. Côté métro, seule la ligne 14 – soit neuf stations – est praticable par les personnes en situation de handicap. Concernant les RER, malgré l’exhaustivité apparente du catalogue (qui ne concerne que deux lignes), il n’existe qu’une dizaine de gares accessibles dans Paris intra-muros. Les tramways ne circulant qu’en banlieue, il ne reste pour se déplacer dans la capitale que les bus. Tous munis d’une rampe automatique, mais dépendants des aléas du trafic urbain.
Alors quoi, faut-il faire le tour de la capitale pour aller d’un point A à un point B ? Ou prévoir une heure et demie de transport contre quarante-cinq minutes pour une personne valide ? Pour le moment, oui. Sans compter les coups de téléphone aux gares RER pour s’assurer qu’il sera possible d’installer une rampe. Sans compter les ascenseurs en panne obligeant à modifier son trajet. Sans compter le manque de place dans les bus surchargés aux heures de pointe. Qu’en sera-t-il demain ? Le projet du Grand Paris est de rendre l’ensemble des nouvelles lignes prévues pour 2030 (15, 16, 17 et 18) praticables par tous : meilleurs éclairages, signalétiques, ascenseurs systématiques. Ce qui ne fera pas oublier que le centre de la capitale restera quant à lui inaccessible par voie souterraine – pour la RATP, le métro « historique » du coeur de Paris souffre de trop de contraintes techniques pour être mis aux normes. Ce qui ne fera pas non plus oublier que les efforts à fournir ne sont pas uniquement matériels. Le manque d’accompagnement humain des personnes en situation de handicap est criant : pas de prises en charge en cas d’absence de place dans un bus ; pas d’informations sur les itinéraires alternatifs en cas de panne d’ascenseur ou de perturbation du trafic ; trop peu de personnel en gare pour installer des rampes d’accès… Quelles réponses le Grand Paris apportera-t-il sur ces sujets ? Tiendra-t-il sa promesse d’une capitale plus accessible ? La question reste ouverte.