Un matin, Jean-Paul est entré dans la chambre d’hôpital de son épouse Nadine en sachant qu’elle allait bientôt mourir. Le médecin venait de l’informer de l’arrêt de la chimiothérapie. Jean-Paul s’est demandé si Nadine percevrait l’état de choc dans lequel il se trouvait. Il le craignait pour ne pas rajouter de l’inquiétude aux souffrances qu’elle endurait. Et en même temps, il le souhaitait. Ça l’aurait tellement soulagé de lui dire qu’il avait peur qu’elle meure et qu’elle le laisse seul. Tout seul. Mais Nadine l’a accueilli avec son sourire habituel. Impatiente de le voir, de sentir sa main dans la sienne et de lui raconter les bizarreries du service hospitalier. Alors Jean-Paul s’est comporté comme d’habitude : écoutant, remettant de l’ordre dans la chambre, dressant une liste des choses à lui apporter, se laissant même entraîner dans une dispute domestique comme à la maison. Les jours suivants aussi.
Derniers instants sans pathos
« Nadine est décédée sans que nous ayons parlé ni de sa disparition, ni de ce qu’elle ressentait, ni de mes angoisses à moi », regrette t-il aujourd’hui. Jean-Paul a l’impression d’avoir failli. De n’avoir pas favorisé un espace de véritable dialogue, « où on aurait pu tout se dire, sans tabous, comme on l’avait toujours fait ». Il s’en veut aussi de n’avoir pas prononcé des mots un peu solennels voire romantiques. « Elle a peut-être cru que j’ignorais son état de fragilité, alors elle s’est efforcée de prendre sur elle pour ne pas se trahir et me protéger. Et elle est décédée sans que je puisse l’aider à affronter ses peurs », se reproche-t-il en boucle.
Des aidants, proches ou professionnels, hantés par le souvenir de derniers échanges superficiels ne contenant pas de paroles fondamentales ou testamentaires, Martine Ruszniewski en rencontre souvent. Psychologue et psychanalyste à l’Institut Curie à Paris, elle y a créé et y accompagne des groupes de paroles. « C’est difficile pour un proche de vivre l’après décès avec ces regrets-là, car il n’aura jamais la réponse à sa question : a-t-il été un aidant suffisamment bon ? » convient-elle. « Ce que Jean-Paul peut se dire tout de même, c’est qu’il a respecté la volonté de Nadine. Si celle-ci avait voulu parler de sa fin, elle l’aurait fait. Quand quelqu’un sait où il en est dans l’évolution de son état de santé, il ne pose pas de questions. Il esquive le sujet de sa maladie. Alors il faut juste ’écouter et lui signifier qu’on ne l’abandonnera pas. Avoir accepté de rester dans la zone de non-dit que Nadine lui a imposée l’a sans doute préservée d’une exposition à une douleur trop grande pour elle. Car mettre des mots sur la mort est traumatisant : c’est la rendre réelle. »
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