Je suis en train de me relever de mon fauteuil pour contourner le bureau, il a déjà reboutonné son manteau et rangé ses papiers. La main sur la poignée de la porte du cabinet, il se retourne soudain vers moi : « À propos docteur… Pourriez-vous m’ajouter un somnifère sur mon ordonnance, j’ai un peu de mal à dormir en ce moment. »
Le médecin averti reconnaît là ce qu’il appelle « une consultation de seuil », ( seuil du cabinet ), c’est-à-dire un motif de consultation que le patient a « comme par hasard » oublié de signaler au cours de celle-ci et dont il ne se souvient qu’au moment de partir… Sa phrase « à propos docteur… » véhicule cependant deux informations qui méritent d’être creusées. D’abord que la seule réponse médicale aux troubles du sommeil serait la prescription d’un somnifère ; ensuite, et c’est bien la raison pour laquelle il s’agit d’une consultation de seuil, que ces troubles ne justifieraient pas une consultation à part entière. En effet, le diagnostic est simple, fait par le patient lui-même, et le médecin n’a plus qu’à y apporter la réponse qui coule de source, à savoir le fameux somnifère, et le tour sera joué.
Quel est le rôle du médecin en cas de trouble du sommeil, si ce n’est de prescrire des somnifères ? Tout d’abord, il s’agit de bien identifier la plainte du patient. Est-ce celle de mal dormir ou de manquer de sommeil ? Beaucoup de personnes confondent ces notions. L’exemple le plus courant étant celui des jeunes retraités, qui, sans modifier leur horaire habituel de coucher, se lèvent naturellement de plus en plus tard, et qui, de plus, ont souvent une activité quotidienne moins fatigante. Pas d’insomnie en réalité chez eux mais un temps au lit trop important par rapport à leurs besoins – besoins qui par ailleurs tendent à diminuer avec l’avancée en âge – et donc l’apparition de plages d’éveil nocturne prises à tort pour des insomnies.
Le rôle du médecin est aussi d’évaluer ce que son patient met dans le sommeil. Celui qui déclare : « Si je n’ai pas mes huit heures de sommeil, tout va mal », exprime une conviction qui remonte probablement aux conseils parentaux de son enfance. Il est tellement persuadé que le manque de sommeil est nuisible qu’il ne pense pas à s’observer. Souffre-t-il de fatigue importante durant la journée ? Non ? Alors sa quantité de sommeil nocturne est satisfaisante ! La conviction que ne pas dormir « suffisamment» entraîne des maladies mystérieuses et un mauvais fonctionnement global est très répandue. Or, aussi surprenant que cela puisse paraître, il n’existe aucune preuve scientifique qu’un manque de sommeil nocturne puisse générer autre chose… qu’une fatigue diurne. Cette conviction est pourtant si tenace qu’elle produit de l’angoisse, celle de ne pas dormir, qui est elle-même une cause d’insomnie majeure : plus d’un tiers des insomnies chroniques. Cette insomnie auto-générée par le patient qui a peur de ne pas s’endormir s’appelle dans le jargon médical l’insomnie psychophysiologique. « Psycho » car le ressort en est effectivement psychologique, et physiologique ( ce qui signifie en jargon médical « fonctionnement normal » ) car à l’origine, il n’existe pas d’autre pathologie pour l’expliquer que la simple peur de ne pas s’endormir.
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