Par Patrick Linx, Psychologue clinicien-psychanlayste, formateur d'équipes soignantes en psychopathologie et psychogériatrie.
Le handicap entraîne une modification du regard que l’on pose sur la personne qui le porte. On se fabrique très vite une idée reçue sur le devenir de sa sexualité en lui supposant des besoins, des demandes et des désirs qui ne seraient pas ou plus « normalement » recevables. C’est ainsi que se construisent schémas et discours collectifs. La tentation est parfois grande de réduire l’autre à son handicap ou à son vieillissement difficile. Quand on « a » un handicap on ne tarde pas à être traité comme un handicapé. Le handicap se confond encore trop souvent avec l’identité de celle ou celui qui le porte. D’ailleurs qui n’a pas de handicap ? Question de nature, de degré ou de visibilité dudit « handicap » !
Faisant fi du sujet porteur du handicap, la norme ne tarde pas à être définie et fixée par l’institution soignante. Vue de l’extérieur ou de l’intérieur, la sexualité en institution est encore imprégnée de honte, de tabous et d’inhibition. Elle se retrouve parfois médicalement sédatée quand elle s’exprime trop ouvertement. Et les censeurs de tout poil de faire chorus : « Docteur, des comportements pareils à son âge est-ce normal ? » « Est-ce bien raisonnable dans son état ? » À défaut d’une écoute particulière, la sexualité est abordée avec réserve et prudence à la fois par les personnes handicapées elles-mêmes et par les responsables de l’institution quand elle n’est pas réprimée ou sanctionnée. L’application d’un certain nombre de mesures pouvant favoriser les échanges se heurte à des autorisations administratives fastidieuses et autres résistances moralisantes émanant des proches et des familles. Ainsi, l’accompagnement du handicapé par une personne de confiance désignée par lui-même relève d’une procédure longue ets complexe alors qu’elle se voudrait simple. La personne handicapée en est parfois réduite à accepter, bon gré mal gré, un chaperon que la pression familiale ou institutionnelle lui impose.
L’abstention et l’abstinence sexuelle du sujet handicapé ou âgé sont tenues comme allant presque de soi et deviennent le pendant d’un angélisme enfantin. Il n’y pas de sexualité idéale à laquelle tous devraient se référer. Si on n’y prend pas garde, le domaine de la sexualité et de la psychosexualité risque d’être réduit à des performances sexuelles séparées des affects qu’elles expriment, par exemple les sentiments, les sensations, les émotions et les humeurs qui prennent tout leur sens au fil de la vie, quand l’expression de la libido est respectée. Quand notre corps-plaisir est déconsidéré il se dévitalise progressivement.
Avec le grand âge, disait Freud, mais j’ajouterais avec aussi le handicap, le courant tendre prend le devant de la scène amoureuse en perdant de cette force pulsionnelle. Cette perte est d’ailleurs toute relative comme le montrent beaucoup de témoignages. À défaut de comprendre et de mesurer l’alliance du courant tendre et du courant sensuel qui se modifient et se bonifient au fil de la maturité et des expériences de la vie, les institutions se retrouvent démunies devant la souffrance des résidents, et ne leur offrent pas toujours des solutions satisfaisantes. Elles ne leur permettent pas d’être acteurs de leur vie affective et sexuelle.
L’isolement, la tendance au renoncement, l’hostilité des mentalités régnantes avec leur cortège d’expressions dégradantes, « vieux cochon », « vieillard lubrique » ont toujours cours. Un regard d’exclusion et d’apitoiement reste porté sur le handicapé. Il fait sérieusement obstacle à l’expression de sa sexualité. Il en va de même pour le sujet vieillissant. Se présenter comme qualifié pour disqualifier ainsi la vie intime de l’autre au nom d’une prétendue ou supposée différence ne relève-t-il pas de l’abus de pouvoir? La question mérite d’être posée à tous : familles, proches et institutions. À bon entendeur !
* Co-auteur de Vieillir en huis clos avec José Polard, aux éditions Érès.
Le handicap entraîne une modification du regard que l’on pose sur la personne qui le porte. On se fabrique très vite une idée reçue sur le devenir de sa sexualité en lui supposant des besoins, des demandes et des désirs qui ne seraient pas ou plus « normalement » recevables. C’est ainsi que se construisent schémas et discours collectifs. La tentation est parfois grande de réduire l’autre à son handicap ou à son vieillissement difficile. Quand on « a » un handicap on ne tarde pas à être traité comme un handicapé. Le handicap se confond encore trop souvent avec l’identité de celle ou celui qui le porte. D’ailleurs qui n’a pas de handicap ? Question de nature, de degré ou de visibilité dudit « handicap » !
Faisant fi du sujet porteur du handicap, la norme ne tarde pas à être définie et fixée par l’institution soignante. Vue de l’extérieur ou de l’intérieur, la sexualité en institution est encore imprégnée de honte, de tabous et d’inhibition. Elle se retrouve parfois médicalement sédatée quand elle s’exprime trop ouvertement. Et les censeurs de tout poil de faire chorus : « Docteur, des comportements pareils à son âge est-ce normal ? » « Est-ce bien raisonnable dans son état ? » À défaut d’une écoute particulière, la sexualité est abordée avec réserve et prudence à la fois par les personnes handicapées elles-mêmes et par les responsables de l’institution quand elle n’est pas réprimée ou sanctionnée. L’application d’un certain nombre de mesures pouvant favoriser les échanges se heurte à des autorisations administratives fastidieuses et autres résistances moralisantes émanant des proches et des familles. Ainsi, l’accompagnement du handicapé par une personne de confiance désignée par lui-même relève d’une procédure longue ets complexe alors qu’elle se voudrait simple. La personne handicapée en est parfois réduite à accepter, bon gré mal gré, un chaperon que la pression familiale ou institutionnelle lui impose.
Les institutions ne permettent pas d’être acteur de sa vie affective et sexuelle.
L’abstention et l’abstinence sexuelle du sujet handicapé ou âgé sont tenues comme allant presque de soi et deviennent le pendant d’un angélisme enfantin. Il n’y pas de sexualité idéale à laquelle tous devraient se référer. Si on n’y prend pas garde, le domaine de la sexualité et de la psychosexualité risque d’être réduit à des performances sexuelles séparées des affects qu’elles expriment, par exemple les sentiments, les sensations, les émotions et les humeurs qui prennent tout leur sens au fil de la vie, quand l’expression de la libido est respectée. Quand notre corps-plaisir est déconsidéré il se dévitalise progressivement.
Avec le grand âge, disait Freud, mais j’ajouterais avec aussi le handicap, le courant tendre prend le devant de la scène amoureuse en perdant de cette force pulsionnelle. Cette perte est d’ailleurs toute relative comme le montrent beaucoup de témoignages. À défaut de comprendre et de mesurer l’alliance du courant tendre et du courant sensuel qui se modifient et se bonifient au fil de la maturité et des expériences de la vie, les institutions se retrouvent démunies devant la souffrance des résidents, et ne leur offrent pas toujours des solutions satisfaisantes. Elles ne leur permettent pas d’être acteurs de leur vie affective et sexuelle.
L’isolement, la tendance au renoncement, l’hostilité des mentalités régnantes avec leur cortège d’expressions dégradantes, « vieux cochon », « vieillard lubrique » ont toujours cours. Un regard d’exclusion et d’apitoiement reste porté sur le handicapé. Il fait sérieusement obstacle à l’expression de sa sexualité. Il en va de même pour le sujet vieillissant. Se présenter comme qualifié pour disqualifier ainsi la vie intime de l’autre au nom d’une prétendue ou supposée différence ne relève-t-il pas de l’abus de pouvoir? La question mérite d’être posée à tous : familles, proches et institutions. À bon entendeur !
* Co-auteur de Vieillir en huis clos avec José Polard, aux éditions Érès.