« Bonjour docteur ! Je viens vous voir pour que vous me disiez ce que j’ai ». Poser des mots sur les maux est une nécessité primordiale pour celui qui souffre, parfois même plus importante qu’il ne l’imagine lui-même. Inversement, faire un diagnostic est pour le médecin considéré comme l’essentiel de son travail, dont tout le reste ( prise en charge thérapeutique, etc. ) pourra découler naturellement. Alors où se situe le problème si apparemment tout le monde est d’accord des deux côtés de la blouse ? Tout d’abord, le médecin sait rarement à quel point il est important pour le malade d’entendre de sa bouche « ce qu’il a », d’autant moins que ce dernier n’ose souvent pas le demander.
Lors de mes débuts, comme beaucoup de jeunes confrères, j’ai commencé par faire des remplacements de médecine générale. C’est ainsi que je me suis retrouvé chez un généraliste qui m’a tenu un discours fondateur pour mon avenir : « Ne laisse jamais partir un patient sans lui dire clairement ce qu’il a : peut-être que tu ne le sais pas vraiment [ ce qui n’empêche pas de faire de la “bonne médecine”, mais nous verrons cela par la suite ], mais tu dois quand même lui dire précisément de quoi il s’agit, au choix : une gastro-entérite, une pharyngite, une arthrose… Les gens ont besoin de savoir ce qu’ils ont et ont aussi besoin de penser que toi, tu le sais. D’autre part, ne dis jamais à un patient qu’il n’a rien. Rien veut dire pour toi que tu n’as rien trouvé ou qu’il n’existe pas de diagnostic médical correspondant à ce dont il se plaint. Mais rien signifie pour lui que tu ne l’as pas écouté ni pris en charge. »
Ce petit discours m’a marqué. Durant mes neuf longues années d’apprentissage à la faculté et à l’hôpital, aucun enseignant, aucun médecin ne m’avait jamais dit que le rôle du médecin est aussi, et peut-être surtout, de nommer la maladie. Non pas simplement de faire un diagnostic qu’il partagera avec ses pairs, mais aussi de dire à son patient ce qu’il a.
Aujourd’hui, lorsque je regarde travailler mes étudiants dans mon cabinet, je constate que, entre la fin de l’examen physique et la rédaction de l’ordonnance, cette étape fondamentale des mots posés sur les maux est souvent escamotée, quelle que soit par ailleurs la qualité de l’ensemble de la consultation, comme si quelque part cela allait de soi et que l’accord s’était déjà fait entre le praticien et le patient sur ce qui l’amène au cabinet. Sauf que, parfois, il n’existe aucun rapport entre ce que pense le patient de ce qu’il a et le diagnostic fait par le médecin. Et c’est dans cet interstice, au départ inapparent pour l’un comme pour l’autre, que se développent progressivement la confusion et l’incompréhension.
Mais suffit-il pour un médecin de poser des mots sur les maux pour que son patient rentre chez lui l’esprit tranquille ? Ce serait trop simple. D’abord, il faut reconnaître que le médecin ne s’exprime pas toujours avec des mots compréhensibles. Le jargon médical, moqué depuis Molière, ne s’est pas amélioré à l’ère moderne et scientifique de la médecine. Je vois tous les jours des étudiants de bonne foi qui annoncent des diagnostics et des projets thérapeutiques à des patients qui n’y comprennent pas grand-chose mais n’osent pas demander plus d’explications de peur de paraître ignares. Et quand je dis « de bonne foi », je veux dire par là que ces étudiants sont les premiers surpris quan
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