Photos Francine Bajande
Quand j’avais 10 ans, mes copines me disaient souvent : “Elle est chouette, ta mère. C’est comme une copine pour toi.” Oui, elle était très jeune d’esprit. Elle avait 26 ans lorsque je suis née. Mon père nous a quittées deux ans plus tard et n’est jamais reparu. Je n’ai plus entendu parler de lui. On a donc vécu une relation très fusionnelle toutes les deux : on faisait tout ensemble. Elle m’a accompagnée à mon premier concert : Johnny Hallyday !
J’ai quitté Lyon pour Paris lorsque je me suis mariée. Cet éloignement a été difficile pour elle. Alors, comme elle était comptable au sein d’un grand groupe, elle a demandé à être mutée en région parisienne et elle est venue s’installer dans une localité proche de la nôtre. Tous les week-ends, elle sautait dans sa dodoche et venait nous voir. Elle s’est beaucoup investie auprès de mes trois enfants, deux filles et un garçon nés entre 1968 et 1972. Ses petits-enfants l’adoraient. Mon mari aussi. Lorsqu’elle a pris sa retraite, elle a passé encore plus de temps avec nous. Le samedi, elle me rejoignait dans ma classe : j’étais enseignante en primaire, elle animait des ateliers tricot pour les enfants et leurs parents. Les enfants l’appelaient « mamie Nova ». Elle avait le don de se mettre tout le monde dans la poche. Chaque été, on l’emmenait en vacances avec nous en Corse, où l’on possède une petite maison.
Un jour, j’ai reçu un appel de la voisine de ma mère, qui s’inquiétait de son amaigrissement. Sa maladie d’Alzheimer avait été détectée et on avait mis en place un réseau d’aide – des voisins attentifs, du portage de repas à domicile – pour qu’elle puisse continuer à vivre chez elle.
Après une petite enquête, on s’est rendu compte que ma mère oubliait de manger, et qu’elle se perdait de plus en plus souvent. Son état s’était détérioré. Elle avait alors 88 ans. La gériatre nous a proposé un placement dans une maison de retraite. Maman s’y est opposée. Moi aussi. Je l’ai donc accueillie chez moi. J’avais de la place. Elle a occupé durant trois ans une chambre au rez-de-chaussée donnant sur le jardin. Elle s’est vite adaptée. La présence régulière de son arrièrepetite-fille y a contribué. Elles jouaient beaucoup ensemble. Leurs parties de petits chevaux, puis de petits bacs, ont stimulé les capacités qu’elle avait encore. De mon côté, je l’associais le plus possible à des activités domestiques. Quand je cuisinais, je lui donnais des légumes à éplucher, ou alors on regardait des photos, on écoutait de la musique. Maman faisait sa toilette toute seule, je l’emmenais chez le coiffeur une fois par semaine, et c’est ma fille aînée qui lui donnait sa douche, le samedi. Je n’aurais pas voulu avoir à le faire : maman avait été une jolie femme et la voir se dégrader physiquement me peinait. Mais cela ne posait aucun problème à ma fille.
Puis son comportement a changé. Elle a commencé à déambuler la nuit dans la maison. On l’entendait qui vidait ses placards. Elle enfilait son manteau, ses gants, prenait son sac et essayait de sortir. Une fois, on l’a retrouvée au garage, une autre fois dans le jardin. Elle est devenue agressive. Elle ne supportait plus mon mari. Un jour, elle a failli me gifler. On l’avait emmenée en Corse, où elle partageait sa chambre avec ma petite-fille, et je l’ai surprise en train de fumer. Comme je lui ai demandé d’aller fumer dehors, elle s’est mise dans une colère terrible. Cette rage pour un épisode dérisoire m’a choquée. Ce n’était tellement pas dans la nature de nos relations ! Tout à coup, ce n’était plus maman qui était devant moi, mais une inconnue prête à me frapper. Je m’étais préparée à ces changements… N’empêche que, lorsque c’est arrivé, cela m’a déstabilisée.
J’avais participé à des réunions d’information pour les aidants de malades Alzheimer, dans un accueil de jour où je déposais ma mère plusieurs fois par semaine, puis dans des groupes de parole organisés par France Alzheimer. C’est grâce à ces réunions que j’ai réussi à me fami
Quand j’avais 10 ans, mes copines me disaient souvent : “Elle est chouette, ta mère. C’est comme une copine pour toi.” Oui, elle était très jeune d’esprit. Elle avait 26 ans lorsque je suis née. Mon père nous a quittées deux ans plus tard et n’est jamais reparu. Je n’ai plus entendu parler de lui. On a donc vécu une relation très fusionnelle toutes les deux : on faisait tout ensemble. Elle m’a accompagnée à mon premier concert : Johnny Hallyday !
J’ai quitté Lyon pour Paris lorsque je me suis mariée. Cet éloignement a été difficile pour elle. Alors, comme elle était comptable au sein d’un grand groupe, elle a demandé à être mutée en région parisienne et elle est venue s’installer dans une localité proche de la nôtre. Tous les week-ends, elle sautait dans sa dodoche et venait nous voir. Elle s’est beaucoup investie auprès de mes trois enfants, deux filles et un garçon nés entre 1968 et 1972. Ses petits-enfants l’adoraient. Mon mari aussi. Lorsqu’elle a pris sa retraite, elle a passé encore plus de temps avec nous. Le samedi, elle me rejoignait dans ma classe : j’étais enseignante en primaire, elle animait des ateliers tricot pour les enfants et leurs parents. Les enfants l’appelaient « mamie Nova ». Elle avait le don de se mettre tout le monde dans la poche. Chaque été, on l’emmenait en vacances avec nous en Corse, où l’on possède une petite maison.
Un jour, j’ai reçu un appel de la voisine de ma mère, qui s’inquiétait de son amaigrissement. Sa maladie d’Alzheimer avait été détectée et on avait mis en place un réseau d’aide – des voisins attentifs, du portage de repas à domicile – pour qu’elle puisse continuer à vivre chez elle.
Organiser la vie autrement
Après une petite enquête, on s’est rendu compte que ma mère oubliait de manger, et qu’elle se perdait de plus en plus souvent. Son état s’était détérioré. Elle avait alors 88 ans. La gériatre nous a proposé un placement dans une maison de retraite. Maman s’y est opposée. Moi aussi. Je l’ai donc accueillie chez moi. J’avais de la place. Elle a occupé durant trois ans une chambre au rez-de-chaussée donnant sur le jardin. Elle s’est vite adaptée. La présence régulière de son arrièrepetite-fille y a contribué. Elles jouaient beaucoup ensemble. Leurs parties de petits chevaux, puis de petits bacs, ont stimulé les capacités qu’elle avait encore. De mon côté, je l’associais le plus possible à des activités domestiques. Quand je cuisinais, je lui donnais des légumes à éplucher, ou alors on regardait des photos, on écoutait de la musique. Maman faisait sa toilette toute seule, je l’emmenais chez le coiffeur une fois par semaine, et c’est ma fille aînée qui lui donnait sa douche, le samedi. Je n’aurais pas voulu avoir à le faire : maman avait été une jolie femme et la voir se dégrader physiquement me peinait. Mais cela ne posait aucun problème à ma fille.
Trouver de l’appui
Puis son comportement a changé. Elle a commencé à déambuler la nuit dans la maison. On l’entendait qui vidait ses placards. Elle enfilait son manteau, ses gants, prenait son sac et essayait de sortir. Une fois, on l’a retrouvée au garage, une autre fois dans le jardin. Elle est devenue agressive. Elle ne supportait plus mon mari. Un jour, elle a failli me gifler. On l’avait emmenée en Corse, où elle partageait sa chambre avec ma petite-fille, et je l’ai surprise en train de fumer. Comme je lui ai demandé d’aller fumer dehors, elle s’est mise dans une colère terrible. Cette rage pour un épisode dérisoire m’a choquée. Ce n’était tellement pas dans la nature de nos relations ! Tout à coup, ce n’était plus maman qui était devant moi, mais une inconnue prête à me frapper. Je m’étais préparée à ces changements… N’empêche que, lorsque c’est arrivé, cela m’a déstabilisée.
J’avais participé à des réunions d’information pour les aidants de malades Alzheimer, dans un accueil de jour où je déposais ma mère plusieurs fois par semaine, puis dans des groupes de parole organisés par France Alzheimer. C’est grâce à ces réunions que j’ai réussi à me fami
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Je suis dans la même situation de ce que je viens de lire je n’arrive pas à accepter ma mère ne me reconnais pas se méfies de moi je ne sais pas si elle est consciente si elle sait où elle est quand je lui parle elle ne e répond elle m’a dit elle a mal à la tête je ne sais pas ce qu’elle veut est ce que je peux la laissé chez elle dans son appartement merci de me dire un peu
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